Dans
le supplément « Télévisions » du Monde
daté des 27 et 28 janvier 2013 a paru la critique de Marie-Béatrice
Baudet sur mon film, La
Malédiction du gaz de schiste,
diffusé ce mardi sur Arte.
Dans
ce film, je montre des agriculteurs polonais qui n’entendent pas
laisser Chevron construire un puits de forage de gaz de schiste dans
leur village parce que cette multinationale américaine en a décidé
ainsi. Seraient-ils devenus fous ? Enfin le moyen pour la
Pologne de gagner son indépendance énergétique ! Un reporter
du Monde
a d’ailleurs récemment vanté les bienfaits de l’exploitation du
gaz de schiste au Texas. Il s’est avéré que son voyage avait été
pris en charge par Total... Après cette troublante… mésaventure
( ?), y aurait-il encore des journalistes au Monde
qui nieraient la puissance des lobbies des multinationales
énergétiques ?
Non,
les agriculteurs polonais ne sont évidemment pas devenus fous. Ils
sont tout simplement allés chercher des informations issues d’autres
sources que celles fournies par Chevron. Car, ne vous en déplaise,
Madame Baudet, les Polonais que je filme utilisent les moyens
modernes de communication. Il ne s’agit pas de braves
révolutionnaires – aucun d’entre eux n’a d’ailleurs jamais
été ni activiste ni militant. Il s’agit de gens qui ne se sont
pas laissé endormir par les experts en communication, qui ont croisé
leurs informations et découvert avec effroi ce qui se passe déjà
ailleurs, aux Etats-Unis ; qui le déplorent et ne veulent pas
que cela se produise chez eux.
Je
regrette d’avoir à l’écrire, mais votre critique fleure mauvais
la condescendance, Madame Baudet. Condescendance à l’égard des
agriculteurs polonais dont je filme la lutte (« elle a du
charme », écrivez-vous), condescendance à mon égard puisque,
plein d’ « empathie » et de « parti pris »,
j’assènerais des contre-vérités…
Quel
mépris à l’égard de ces hommes et ces femmes qui craignent pour
leur santé, leurs conditions de vie actuelles et celles des
générations futures. Connaissez-vous des motifs de lutte plus
dignes ?
Quel
mépris à mon égard… Oui, je suis un artiste engagé. Oui je
m’expose, je me déplace, je discute, je m’impose là où on ne
me désire pas, j’ouvre les yeux, les oreilles. Je suis allé
filmer ceux qui subissent déjà les conséquences de l’exploitation
du gaz de schiste pour montrer ce que redoutent à juste titre les
agriculteurs polonais de Zurawlow. Pour montrer la réalité que
cachent les puissantes entreprises énergétiques mondiales. Je le
fais avec mes moyens propres, la réalisation cinématographique.
D’autres – certains de vos confrères, notamment, dans des
journaux aussi prestigieux que le New York Times – le font avec la
plume. Me croyez-vous vraiment assez naïf pour écrire un
commentaire (la voix off du film) dont je n’aurais pas vérifié le
bien-fondé ?
Car
oui, Madame Baudet, il existe une bulle financière autour de la
production du gaz de schiste et, oui, des compagnies ouvrent des
puits même quand le prix du méthane baisse. Parce qu’il faut
faire fonctionner plusieurs puits de gaz pour que les économies
d’échelle soient effectives. Parce qu’il faut produire toujours
davantage de gaz pour espérer obtenir un retour sur investissement.
Parce que certains investisseurs croient encore aux super pouvoirs
que confèrent les réserves de gaz de schiste enfermé dans le
sous-sol des Etats-Unis.
Je
pourrais revenir sur d’autres points de votre critique qui me
gênent dans la mesure où vous semblez ne pas avoir compris
quelques-uns des ressorts de la dramaturgie du film. La lutte des
« anti-gaz de schiste » (comme vous les appelez
rapidement) n’a pas eu pour motif d’empêcher Chevron de lancer
la construction du puits en pleine période de reproduction des
oiseaux… C’est grâce
à cette loi de protection animale que Chevron a dû faire machine
arrière.
Je
ne m’étendrais pas plus avant sur vos critiques au sens
cinématographique du terme. Car ce qui me gêne, surtout, c’est
que vous semblez nier des évidences prouvées (oui, l’exploitation
du gaz de schiste est extrêmement nocive pour l’environnement) et,
partant, faire le jeu des géants de l’industrie énergétiques…
autrement dit de ceux qui possèdent un pouvoir gigantesque dans
notre monde actuel dont tout le système socio-économico-politique
dépend de nos ressources en énergie. Le gaz de schiste n’est pas
une énergie alternative, pas une énergie verte. C’est une énergie
coûteuse, que l’on exploite parce que les ressources en pétrole
s’épuisent. Et pour cette unique raison.
En
faisant ce film que j’assume entièrement comme étant un film
dénonçant les malfaisances qu’engendrent l’exploration et
l’exploitation du gaz de schiste, je fais moi aussi acte de
résistance. Et j’en suis fier.
Lech
Kowalski